Des chiffres vaudois sur la victimisation des jeunes LGBT

Abstract

Problématique

Les jeunes lesbiennes, gays, bisexuel·les, transgenres et en questionnement (LGBTQ) sont régulièrement confronté∙es à des violences psychologiques, verbales et/ou physiques. Hormis les difficultés spécifiques auxquelles elles et ils doivent faire face lorsqu’elles et ils découvrent leur orientation sexuelle ou leur identité de genre, ces jeunes affrontent également un stress quotidien lié au fait d’appartenir à une minorité qui est aujourd’hui encore fortement stigmatisée.
Les problématiques, telles que les troubles dépressifs, les comportements suicidaires ou encore la consommation de substances psychoactives, auxquelles sont particulièrement exposé·es les personnes LGBTQ, sont des sujets bien décrits dans la littérature. Cependant relativement peu de données européennes, notamment en Suisse, sont disponibles, en particulier en ce qui concerne les minorités de genre. Ce rapport présente d’une part la proportion de jeunes de 18 ans en formation post-obligatoire ayant une orientation sexuelle non exclusivement hétérosexuelle ou une identité de genre minoritaire dans le canton de Vaud et, d’autre part, détermine dans quelle mesure ces jeunes sont plus concerné·es par différentes problématiques comme la violence, la consommation de substances psychoactives, le (cyber-)harcèlement ou les problèmes de santé.

Méthodes de l’enquête et échantillon

Une enquête se focalisant sur la violence, la consommation de substances psychoactives et la santé des répondant·es a été menée en 2017 dans le canton de Vaud, auprès de 1’817 jeunes en deuxième année de formation post-obligatoire. Cette enquête a été effectuée au moyen d’un questionnaire auto-administré anonyme soumis à un échantillon représentatif de classes, provenant d’écoles publiques, sélectionnées selon une approche stratifiée. La récolte de données a été couronnée de succès avec un taux de participation d’environ 90%.
Des questions relatives à trois dimensions de l’orientation sexuelle (attirance sexuelle, sexe des partenaires sexuel∙les et autodéfinition) et à l’identité de genre ont été posées dans cette enquête, permettant de distinguer les jeunes non exclusivement hétérosexuel∙les (ci-après non-HET) des jeunes exclusivement hétérosexuel∙les, ainsi que les jeunes trans* ou en questionnement des jeunes cisgenres. Ces distinctions ont permis la comparaison de ces groupes en regard de différentes variables. Sur la totalité des jeunes ayant participé à ces enquêtes, 16.5% (24.6% de filles et 8.4% de garçons) ont indiqué avoir une orientation sexuelle non exclusivement hétérosexuelle selon l’une ou l’autre des dimensions abordées. Dix jeunes ont rapporté être trans*, sept ont déclaré ressentir une identité de genre différente du sexe qui leur a été assigné à la naissance et trois ont indiqué être en questionnement quant à leur identité de genre. Ce sont donc au total 20 jeunes qui ont été identifié·es comme trans* ou en questionnement quant à leur identité de genre.

Enseignements issus de la littérature scientifique

Situation des personnes LGBT

Il ressort de la littérature scientifique consultée que les jeunes LGB sont plus exposé∙es à toutes sortes de violence, présentent un risque accru de consommation de substances psychoactives et sont en moins bonne santé générale et mentale que leurs pair∙es hétérosexuel∙les. Concernant la transidentité, force est de constater que la littérature s’intéressant spécifiquement à la situation des jeunes trans* face à ces différentes thématiques est très maigre. Les quelques études qui se penchent sur cette question rapportent cependant que les jeunes trans* font face à davantage de difficultés que leurs pair∙es cisgenres, tant au niveau de la victimisation que de la consommation de substances psychoactives et de la santé.

Non-conformité de genre

En ce qui concerne les aspects de genre, la littérature scientifique s’est davantage focalisée sur la notion de non-conformité de genre, relative aux personnes dont l’expression de genre ne correspond pas à la norme sociale attendue pour le sexe assigné à la naissance. Puisque la non-conformité de genre est par définition perceptible par les autres, elle expose potentiellement les jeunes concerné∙es à une victimisation accrue, indépendamment de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre.

Indicateurs de l’orientation sexuelle

Plusieurs études se sont penchées sur les propriétés respectives des trois dimensions de l’orientation sexuelle (attirance sexuelle, sexe des partenaires sexuel∙les et autodéfinition) et sur la façon dont celles-ci se recoupent ou non. Le constat principal qui en ressort est que pris séparément, aucun de ces trois indicateurs ne permet d’identifier toutes les personnes potentiellement exposées à l’un ou l’autre risque en raison de leur orientation sexuelle. L’attirance sexuelle est généralement la dimension qui permet d’identifier le plus grand nombre de personnes. L’autodéfinition est au contraire l’indicateur le plus restrictif, mais aussi le plus consistant. Le sexe des partenaires sexuel∙les constitue un indicateur particulièrement approprié pour l’étude de questions spécifiques, telles que les problèmes liés à la santé sexuelle. La littérature scientifique confirme que l’orientation sexuelle doit être appréhendée et documentée comme un concept multidimensionnel au moyen de ces trois dimensions complémentaires.

Résilience

La littérature met en évidence le rôle central que joue l’environnement des jeunes sur le développement de leurs capacités de résilience, sur leurs choix de mettre en oeuvre telle ou telle stratégie et sur l’impact que la réalisation de ces stratégies aura sur leur bien-être ou leur santé. Un environnement nuisible (LGBT-phobe) ou perçu comme insécure crée typiquement un dilemme autour du coming-out. Celui-ci, lorsqu’il est réalisé, expose en effet à davantage de victimisation, mais libère d’une intériorisation de la stigmatisation et du rejet qui est délétère pour la santé psychique. A l’inverse, lorsque le coming-out n’est pas réalisé, les jeunes concerné∙es peuvent se trouver dans des situations à risque, par exemple dans des environnements familiaux ou extra-familiaux nuisibles, sans bénéficier d’un soutien adéquat de la part des professionnel∙les en milieu scolaire ou des professionnel∙les de la santé.

Résultats de l’enquête - Victimisation

Les jeunes vaudoises et vaudois non-HET sont proportionnellement plus nombreux·ses à avoir été victimes de violences sexuelles au cours des 30 derniers mois (15% vs 3%, respectivement, p < 0.001) ou de harcèlement au moins une fois par semaine lors des 12 derniers mois (16% vs 8%, p < 0.001).

Des analyses plus détaillées indiquent que le ratio victimes/non-victimes au cours des 30 derniers mois est 1.9 fois plus élevé parmi les jeunes non-HET que parmi les jeunes hétérosexuel∙les pour le brigandage/racket et 4.0 fois plus élevé pour les agressions sexuelles. Ce même ratio est 2.2 fois plus important parmi les jeunes non-HET que parmi les jeunes hétérosexuel∙les pour le harcèlement hebdomadaire durant la dernière année. Pour le harcèlement, l’effet de l’orientation sexuelle est par ailleurs plus marqué chez les garçons que chez les filles (rapport victimes/non-victimes 4.5 fois plus élevé pour les garçons non-HET par rapport aux garçons hétérosexuels et 1.6 fois plus élevé pour les filles non-HET par rapport aux filles hétérosexuelles).

Concernant l’identité de genre, 10% des jeunes trans* rapportent avoir été victimes de brigandage/racket au cours des 30 derniers mois, 11% déclarent avoir subi des violences sexuelles, aucun∙e n’a déclaré avoir été victime de lésions corporelles. Quinze pourcents des jeunes trans* rapportent avoir été victimes de harcèlement (cyber ou traditionnel) de manière hebdomadaire durant la dernière année. Ces chiffres inédits en Suisse confirment une situation très préoccupante, même si la petite taille de l’échantillon limite la puissance statistique des analyses.

Consommation de substances psychoactives

Les jeunes non-HET sont proportionnellement plus nombreux·ses à consommer régulièrement du tabac que les jeunes hétérosexuel∙les (42% vs 27%, p < 0.001). Elles et ils sont aussi plus nombreux∙ses à avoir consommé des stupéfiants autres que le cannabis au cours des 12 derniers mois (10% vs 5%, p = 0.004). D’après le modèle de régression multi-variables2, les différences entre ces deux groupes deviennent aussi statistiquement significatives pour la consommation régulière d’alcool et de cannabis. L’association entre l’orientation sexuelle et la consommation de substances psychoactives est plus marquée pour les jeunes femmes, chez qui la surreprésentation des jeunes femmes non-HET est particulièrement importante pour ce qui est de la consommation régulière de cannabis (OR = 3.3) et la consommation d’autres stupéfiants au cours des 12 derniers mois (OR = 5.5).

Appréciation de la santé

Lorsqu’il s’agit de décrire leur état de santé, les jeunes non-HET sont proportionnellement plus nombreux∙ses à rapporter être en mauvaise santé générale (20% vs 11% chez les jeunes ayant une attirance exclusivement hétérosexuelle, p < 0.001), à mentionner souffrir de plusieurs symptômes psychosomatiques plusieurs fois par semaine (79% vs 56%, respectivement, p < 0.001) et à annoncer des symptômes dépressifs (58 % vs 36% respectivement, p < 0.001).

D’après le modèle multi-variables, le rapport entre les jeunes en mauvaise santé et celle et ceux en bonne santé est environ deux fois plus important parmi les jeunes non-HET que chez les jeunes hétérosexuel∙les pour les trois variables liées à la santé.

Comparé∙es à leurs pair∙es cisgenres, les jeunes trans* rapportent également une plus mauvaise santé générale (36% vs 12%, p = 0.002), des troubles psychosomatiques récurrents (82% vs 60%, p = 0.048) et des symptômes dépressifs (67% vs 39%, p = 0.011).

Discussion et conclusion

À une exception près (la consommation hebdomadaire d’alcool en fonction de l’identité de genre), toutes les associations étudiées sont en défaveur des minorités sexuelles et de genre ou sont statistiquement non-significatives. Tant pour l’orientation sexuelle que pour l’identité de genre, les trois variables liées à un moins bon état de santé font partie des associations statistiquement significatives. Ces résultats confirment une situation préoccupante déjà observée chez les plus jeunes (15 ans) en Suisse (dans les cantons de Vaud et Zürich) et bien décrite dans la littérature internationale. Pour améliorer la situation de ces jeunes, une attention particulière doit être portée au climat qui règne dans les environnements scolaire, extra-scolaire et familial dans lesquels peuvent survenir les situations de stigmatisation, de discrimination et de violence, mais dans lesquels peuvent également se développer les capacités de résilience. Il paraît donc primordial de poursuivre la prévention en milieu scolaire et d’amorcer une réflexion quant à la prévention dans les environnements extrascolaire et familial.