Estimation du nombre de naissances et structuration de l'offre vaudoise dans le domaine de l'obstétrique, horizons 2020-2030
Abstract
Contexte et objectifs
Le nombre de naissances augmente régulièrement dans le canton de Vaud depuis plusieurs années (7'265 en 2004 à 8'277 en 2012). Selon les projections de Statistique Vaud le nombre de naissances devrait continuer de croitre d'ici 2030. Le suivi des parturientes et les accouchements se répartissent dans les sept services d'obstétrique des hôpitaux publics du canton (EHC, eHnv, CHUV, GHOL, Hôpital du Chablais VD, HIB et Hôpital de la Riviera) et dans deux cliniques privées à Lausanne (la clinique Cecil et la clinique de la Source, cette dernière n'étant pas inscrite sur la liste LaMAL pour ce type de soins). Il est également possible pour les parturientes d'accoucher dans l'une des quatre maisons de naissance (MdN) du canton (Aquila, La Grange Rouge, Lunaissance et Zoé), et une quinzaine de sages-femmes indépendantes (SFI) pratiquent des accouchements à domicile ou en MdN.
Ces dernières années, les services d'obstétrique ont signalé des épisodes de saturation, en particulier le CHUV, les contraignant à transférer des parturientes vers des services de gynécologie, vers d'autres hôpitaux du canton ou même vers d'autres cantons.
Parallèlement à cela, on note un certain nombre d'évolutions qui concernent directement la prise en charge des accouchements et des soins obstétricaux. Une volonté croissante des femmes de vivre un accouchement moins médicalisé, une augmentation du nombre des césariennes (33,3% en 2013), une augmentation de l'âge moyen à la maternité et le développement de la procréation médicalement assistée (PMA) en sont quelques exemples.
C'est dans ce contexte que le service de santé publique (SSP) du canton de Vaud et le département de gynécologie et d'obstétrique du CHUV ont mandaté l'Institut universitaire de médecine sociale et préventive (IUMSP) pour construire différents scénarios concernant l'évolution du nombre de naissances dans le canton de Vaud aux horizons 2020 et 2030 et estimer le volume et la structure de l'offre en soins obstétricaux à prévoir pour répondre à l'évolution des besoins.
Méthodes
Cette étude est construite en quatre étapes.
Etape 1 - Collecte des données et des informations de terrain
− Revue ciblée de la littérature visant à documenter les principaux facteurs susceptibles d'avoir un impact sur les soins obstétricaux ;
− Sélection et description de différents indicateurs démographiques du canton de Vaud (1980-2012) : nombre de femmes en âge de procréer, nombre de naissances, âge moyen à la maternité, taux de fécondité, indice conjoncturel de fécondité ;
− Analyse et sélection des données pertinentes de la statistique hospitalière pour les années 2012 (analyse de l'utilisation) et 2014 (point de départ pour les projections);
− Entretiens semi-structurés avec des professionnel-le-s de santé du canton et le SSP.
Etape 2 – Elaboration des scénarios de projections démographiques
Cette étape a été réalisée en collaboration avec Statistique Vaud. Quatre scénarios de projections démographiques ont été définis sur la base des tendances observées et des informations récoltées à l'étape précédente.
Etape 3 - Projections du recours aux soins obstétricaux stationnaires
Sur la base des quatre scénarios de projections démographiques aux horizons 2020-2030 élaborés précédemment en collaboration avec Statistique Vaud, l'équipe de recherche de l'IUMSP a réalisé des projections de recours aux soins (séjours et journées d'hospitalisation) stratifiées par zone sanitaire, par classe d'âges et par niveau de spécialisation des soins.
Etape 4 – Projections du nombre de lits nécessaires aux horizons 2020 -2030
A partir du nombre de journées d'hospitalisations, nous avons estimé un nombre de lits théorique nécessaires (avec un taux d'occupation fictif de 100%) pour répondre à la demande future dans chaque zone sanitaire. Afin de rendre compte de l'impact du taux d'occupation sur les résultats de notre modèle, des projections additionnelles ont été réalisées avec des taux d'occupation de 85%, 75% et 70%.
Résultats
Contexte général en lien avec les soins obstétricaux
Un certain nombre de facteurs sont susceptibles d'avoir un impact sur l'intensité des soins obstétricaux et sur les durées d'hospitalisation.
L'âge moyen à la maternité a augmenté ces dernières années en Suisse comme dans la plupart des pays occidentaux. Les femmes font des études plus longues et repoussent leur projet de grossesse à des âges plus avancés qu'autrefois. Les jeunes couples préfèrent de plus en plus assurer leur stabilité professionnelle et financière avant d'avoir des enfants. Par ailleurs, le développement de la procréation médicalement assistée (PMA) permet, entre autres, aux femmes de réaliser leur projet de grossesse plus tardivement qu'autrefois. L'augmentation de l'âge à la maternité et le développement de la PMA sont en lien avec une augmentation des comorbités pendant la grossesse d'une part, et des grossesses à risque d'autre part (par exemple
les grossesses multiples). Les césariennes représentaient 33,3% des accouchements en Suisse en 2013 (ce qui est comparable à la plupart des pays occidentaux), et les durées d'hospitalisation sont plus longues pour une césarienne que pour un accouchement physiologique (de 3 à 4 jours pour un accouchement physiologique versus 5 jours en moyenne pour une césarienne). La prise en charge de populations présentant des risques psycho-sociaux est également susceptible de provoquer l'allongement des durées d'hospitalisation. Parallèlement à ces constats, de plus en plus de femmes envisagent leur grossesse et l'accouchement comme un acte naturel qui ne doit pas être médicalisé si cela n'est pas nécessaire. Les maisons de naissances (MdN) tendent à se développer et certaines équipes hospitalières réfléchissent aux réponses à fournir aux nouvelles demandes des femmes (offrir une alternative peu ou pas médicalisée tout en préservant un niveau maximum de sécurité).
Contexte démographique
Entre 1980 et 2012, Le nombre de femmes en âge de procréer à augmenté de 34.8% et le nombre de naissances a quant à lui augmenté de 50% (augmentation plus forte chez les femmes étrangères que chez les femmes suisses). L'indice conjoncturel de fécondité reste relativement stable depuis 2006 (1.63 en 2012). Le taux de fécondité est en augmentation chez les femmes de 35 à 44 ans depuis les années 1980 et en diminution chez les femmes de moins de 30 ans. L'âge moyen à la maternité est passé de 27.8 ans en 1981 à 31.6 ans en 2012.
Résumés des entretiens semi-directifs
L'augmentation de l'âge moyen des parturientes et le « tourisme » lié à la PMA vers des pays ou la législation est plus souple augmenteraient le nombre de grossesses à risque. L'augmentation observée du nombre des césariennes serait due à une demande croissante des femmes ainsi qu'à une volonté des médecins de limiter le risque de complications au moment de l'accouchement. Les épisodes de saturation seraient ponctuels et concerneraient principalement le CHUV. D'après certains professionnels interrogés, les temps d'hospitalisations auraient tendance à se réduire, une part des soins post-partum se déplaçant vers le domicile. Même si les accouchements à domicile ou en MdN sont en légère augmentation, ceux-ci restent encore très minoritaires. Par ailleurs, peu de sages-femmes indépendantes pratiquent les accouchements hors de l'hôpital sur le canton de Vaud.
Recours aux soins obstétricaux dans le canton de Vaud en 2012
Les parturientes s'orientent dans la majorité des cas vers le service d'obstétrique de la zone sanitaire dont elles dépendent. Toutefois, certains hôpitaux ont un profil de parturientes un peu différent, comme l'EHC dont 48.7% des séjours obstétricaux concernent des femmes qui ne résident pas dans la zone sanitaire Ouest.
La grande majorité des soins obstétricaux relèvent d'un niveau de soins de base (97.7% des séjours sont codés dans la catégorie GEB1) dont tous les services d'obstétrique du canton peuvent assumer la prise en charge. Les accouchements relevant du niveau de soins le plus intense (GEB1.1.1) se déroulent majoritairement au CHUV (91.4%).
Projections démographiques
Quatre scénarios de projections démographiques ont été construits sur la base de deux indicateurs : l'indice conjoncturel de fécondité (ICF) et l'âge moyen à la maternité (AMM). Le scénario 1 prévoit un ICF et un AMM stables dans le temps, le scénario 2 maintient un ICF stable mais prévoit un AMM en hausse, le scénario 3 fait l'hypothèse d'un ICF en hausse et d'un AMM stable et le scénario 4 prévoit un ICF et un AMM tous deux en hausses.
L'hypothèse d'un ICF en baisse n'a pas été retenue, car celui-ci n'a pas diminué entre 2000 et 2010 pour la grande majorité des pays d'Europe. Par ailleurs, la Suisse a un ICF légèrement inférieur à celui de l'Europe dans son ensemble et une marge de progression supérieure y est possible.
Les projections démographiques indiquent une poursuite de la croissance du nombre des naissances aux horizons 2020-2030 pour les quatre zones sanitaires. Cette croissance serait ininterrompue dans la zone Ouest jusqu'en 2030 alors qu'elle se stabiliserait dans les autres zones sanitaires aux environs de 2025. Par rapport au scénario 1, l'hypothèse d'une hausse isolée de l'AMM entrainerait une croissance légèrement supérieure du nombre des naissances. La hausse isolée de l'ICF aurait quant à elle un impact plus important sur l'accroissement du nombre des naissances.
Projection du recours aux soins obstétricaux aux horizons 2020 et 2030
Quel que soit le scénario de projections démographiques ou la zone sanitaire d'observation, les estimations montrent une augmentation du nombre de séjours hospitaliers entre 2014 et 2030. Le scénario 3 faisant l'hypothèse d'un ICF en hausse et d'un AMM stable laisse entrevoir l'évolution la plus forte (9'811 séjours de femmes résidant dans le canton de Vaud en 2030 contre 8'434 en 2014, soit une augmentation de 16.3%). La littérature scientifique et les informations récoltées au cours de cette étude laissent supposer que les scénarios 2 (+9.6% de séjours) et 4 (+14.7% de séjours), prenant en compte une hausse de l'AMM, sont les plus plausibles. Prévoir l'évolution de l'ICF est plus hasardeux car celle-ci est conditionnée par de multiples facteurs (politiques familiales, origine de la mère, climat économique…). L'augmentation du nombre de séjours toucherait toutes les zones sanitaires jusqu'en 2030 avec toutefois un léger tassement à partir de 2024 selon les zones. Seule la zone sanitaire Ouest verrait le nombre de séjours en obstétrique continuer de croître. Il est à noter que le service d'obstétrique du GHOL a la proportion de parturientes domiciliées à l'étranger la plus importante du canton (7.1% de sa patientèle et 48% des patientes domiciliées à l'étranger hospitalisées dans le canton) et que l'évolution de cette population est difficile à anticiper.
Cette augmentation du nombre des séjours concernerait principalement les hospitalisations relevant de soins obstétricaux de base (GEB1) assurés par tous les services d'obstétrique du canton. Les séjours qui requièrent des prestations plus exigeantes (GEB1.1 et GEB1.1.1) resteraient très peu nombreux et relativement stables dans les zones sanitaires Est, Ouest et Nord. En revanche, selon le scénario 4 (ICF et AMM en hausses) et le scénario 3 (ICF en hausse – AMM stable), les séjours pour des soins GEB1.1 + GEB1.1.1 augmenteraient de 21.4% en zone sanitaire Centre (CHUV), passant de 112 séjours en 2014 à 136 séjours annuels en 2028.
Estimation du nombre de lits nécessaires en obstétrique dans le canton de Vaud aux horizons 2020 et 2030
En 2014, 174 lits « physiques » d'obstétrique ont été rapportés dans l'inventaire réalisé par l'équipe de recherche auprès des services d'obstétrique du canton. En dehors des épisodes de saturation, ce nombre semble avoir été suffisant pour répondre aux demandes de soins en 2014. En se basant sur le nombre de journées d'hospitalisation déclarées en 2014 en obstétrique (n=44'063), 121 lits seraient théoriquement nécessaires pour héberger ces journées avec un taux d'occupation fictif de 100%. Ce nombre de lits théoriquement nécessaires augmenterait d'ici 2030 à 132 selon le scénario 2, et à 140 selon le scénario 3.
Avec un taux d'occupation moyen des lits de 85% pour les services d'obstétrique du canton de Vaud, 142 lits seraient théoriquement nécessaires pour répondre aux demandes de soins en 2014. Ce chiffre augmenterait d'ici 2030 à 155 selon le scénario 2, et à 165 selon le scénario 3.
Avec un taux d'occupation moyen de 70%, proche de celui calculé en 2014, 173 lits seraient théoriquement nécessaires pour répondre aux demandes de soins en 2014. Ce chiffre augmenterait d'ici 2030 à 189 selon le scénario 2, et à 200 selon le scénario 3.
Au vu de son taux d'occupation déjà très élevé actuellement, la zone sanitaire Centre sera la plus impactée par l'augmentation des besoins en lits supplémentaires.
Discussion
L'évolution de la politique migratoire de la Suisse au cours des prochaines années pourrait avoir un impact non négligeable sur le nombre annuel des naissances. Les politiques familiales cantonales et fédérales pourraient elles aussi évoluer et avoir un impact sur le taux de fécondité des femmes. Ces tendances sont très difficiles à anticiper de manière précise. Il faut donc garder présent à l'esprit que les projections présentées dans ce rapport pourraient se voir contredites si une importante rupture de continuité survenait dans les politiques publiques ayant une incidence sur le nombre de naissances en Suisse.