Etude sur les trajectoires de prise en charge médicale des migrant·e·s issu·e·s du domaine de l’asile dans le Canton de Vaud. Phase de réalisation

Abstract

Ce rapport décrit les données, méthodes d’analyse et résultats de la phase de réalisation de l’étude sur les trajectoires de prise en charge médicale des requérant·e·s d’asile et des bénéficiaires de l’aide d’urgence dans le canton de Vaud (que nous appellerons conjointement «migrant·e·s iss·e·s du domaine de l’asile») qui sont enregistré·e·s auprès de l’Etablissement vaudois d’accueil des migrants (EVAM). Ce rapport fait suite au rapport sur la phase préparatoire de l’étude. Cette étude, dont le protocole a été approuvé par la Commission cantonale d'éthique de la recherche sur l'être humain du canton de Vaud (CER-VD), a pour objectif de décrire les trajectoires et les coûts liés aux soins des migrant·e·s issu·e·s du domaine de l’asile (MDA) et de comparer les caractéristiques des MDA suivis par le Réseau de santé et migration (RESAMI) par rapport aux MDA suivis par le système de santé ordinaire. Il s’agit notamment de vérifier si le RESAMI suit les MDA les plus vulnérables, comme cela était prévu par le canton de Vaud. Cette étude a également pour objectif d’identifier un nombre limité d’indicateurs facilitant le monitorage des activités du RESAMI à des fins de pilotage.

La revue de littérature de la phase préparatoire a révélé que les requérant·e·s d’asile ont des besoins de santé élevés en particulier dans les domaines en lien avec la maternité et la santé mentale. L’état de santé de ces personnes varie selon leur origine et leur parcours migratoire. Les modèles de prise en charge étudiés sont très hétérogènes et ne permettent pas une comparaison directe avec la présente étude. Le modèle logique élaboré lors de la phase préparatoire a mis en évidence les défis de coordination au sein du RESAMI et le rôle central de l’Unité de soins aux migrants (USMi) comme porte d’entrée et d’orientation dans le système de santé du canton. Il a aussi révélé qu’il n’existe pas d’acte administratif ou d’autre donnée permettant d’identifier formellement l’adhésion au réseau, ou la fin de la phase de santé communautaire.

Nous disposons de données provenant de trois sources principales: des données administratives de l’EVAM ; des données de facturation de Swiss Risk and Care (courtier en assurances maladie) ; et des données liées aux prestations délivrées par l’USMi. Les données ont été liées sur la base d’un identifiant unique codé (à partir du numéro EVAM) pour chaque MDA, et présent dans chacune des bases de données sources. Il s’est en réalité avéré que cet identifiant n’était pas répertorié pour une proportion non négligeable des entrées dans la base de données USMi. Un important travail a dû être effectué pour identifier et combler autant que possible cette lacune.

Quatre facteurs de vulnérabilité susceptibles d’influencer la santé et l’accès aux soins ont été identifiés. Il s’agit du sexe, des personnes seules versus accompagnées, de la langue, et d’avoir bénéficié de l’aide d’urgence (comme proxy pour des barrières d’accès d’ordre légal). Nous avons analysé les parcours de soins et de coûts pour la population des MDA en général, et en fonction des facteurs de vulnérabilité en particulier.

Ont été pris-e-s en compte pour cette étude les MDA majeur·e·s au moment de leur entrée dans le canton de Vaud, qui ont été enregistré·e·s à l’EVAM entre le 1er janvier 2012 et le 31 décembre 2015, et pour lesquel-le-s les données sont complètes. Les données de soins couvrent toute la durée des séjours EVAM, au plus tard jusqu’à la date d’extraction des données (le 28 septembre 2018). La population de 5’201 MDA que nous analysons est constituée de 75% d’hommes et de 74% de personnes seules (qui sont majoritairement des hommes). C’est une population plutôt jeune avec une moyenne d’âge de 33 ans. Les MDA présentent plusieurs facteurs de risque pour une vulnérabilité accrue avec notamment 25% d’entre eux à l’aide d’urgence, et 30% ayant acheté des médicaments en lien avec la santé mentale. La moitié des MDA ne parle pas une des quatre langues couramment employées en Suisse (français, allemand, italien, anglais), et 30% ont complété leur programme de vaccination au sein du RESAMI. Les données à disposition ne permettent pas de savoir quelle proportion de MDA n’avait pas besoin de compléter leurs vaccinations à leur arrivée dans le canton de Vaud. Cette lacune ne nous permet pas d’estimer le taux de couverture et donc l’efficacité de programme de vaccination au sein du RESAMI.

Le premier contact avec le système de santé dans le canton de Vaud survient dans trois settings, à savoir à l’USMi, en ambulatoire dans le système de santé ordinaire (hors USMi), et aux urgences. La majorité des MDA (44%) ont un premier contact avec l’USMi uniquement. Une consultation dans les trois settings le même jour, ou une consultation aux urgences et en ambulatoire hors USMi le même jour, sont aussi des cas fréquents. Les MDA ayant recours à un traitement ambulatoire hors USMi lors de leur premier contact ont, en moyenne, par la suite des consommations de soins plus élevées.

Les MDA ont des coûts élevés pendant leurs premiers mois de séjour EVAM. Ces coûts sont décroissants dans le temps et se stabilisent après 12-15 mois de séjour. Les femmes, les MDA non seul·e·s (majoritairement des femmes), et les MDA parlant au moins une des quatre langues courantes en Suisse ont des coûts plus élevés. Les MDA affilié·e·s à l’aide d’urgence ont des coûts plus faibles, ce qui pourrait s’expliquer par des durées de séjour EVAM fractionnées, avec de nombreuses entrées et sorties.

Tout comme les coûts, le nombre de contacts USMi est élevé lors des premiers mois de séjour EVAM, et décroit dans le temps. Pendant la première année de séjour, les MDA parlant une des quatre langues courantes en Suisse ont plus de contacts USMi, alors que les MDA affilié·e·s à l’aide d’urgence en ont moins. Au-delà de 12 mois de séjour, les hommes et les MDA seul·e·s (majoritairement des hommes) ont plus de contacts USMi par rapport aux femmes et aux MDA non seul·e·s.

Les contacts ambulatoires dans le système de santé ordinaire ont une tendance stable dans le temps, et deviennent plus fréquents que les contacts USMi (en moyenne) après le 15ème mois de séjour EVAM. Les femmes, les MDA non seul·e·s, et les MDA n’ayant pas été affilié·e·s à l’aide d’urgence ont plus de contacts ambulatoires hors USMi. Les MDA non seul·e·s et les femmes ont significativement plus de contacts en urgence.

Une analyse de survie a révélé que les hommes, les MDA ne parlant pas le français, les MDA en hébergement individuel, et les MDA à l’aide d’urgence arrêtent de fréquenter l’USMi plus rapidement que les autres. Une proportion importante (54%) des MDA catégorisé·e·s comme ayant des coûts élevés et des contacts USMi faibles arrête de fréquenter l’USMi dans les 12 premiers mois de séjour EVAM. Une proportion importante (60 à 63%) des MDA catégorisés comme ayant des contacts USMi mensuels élevés continue de fréquenter l’USMi pendant plus de 12 mois.

Nos analyses démontrent que les facteurs de vulnérabilités que nous avions identifiés a priori influencent la consommation de soins. Le fait d’avoir été affilié·e à l’aide d’urgence ressort comme le facteur le plus fortement associé à un moindre recours aux soins (à l’USMi, hors USMi et en urgence) alors que le stress psychosocial et la précarité auxquels sont exposées ces personnes devraient logiquement engendrer des besoins en soins de santé accrus. Le fait de ne parler aucune des quatre langues courantes en Suisse est également associé à un recours moindre aux soins (à l’USMi et en urgence) alors que cette barrière à l’intégration ne peut pas expliquer des besoins en soins de santé moindres. La situation est plus contrastée en ce qui concerne le sexe féminin et le fait d’être seul·e. La littérature scientifique suggère des besoins en soins accrus chez les femmes (en raison des soins gynécologiques et obstétricaux notamment). Nos analyses suggèrent que ces besoins accrus sont probablement en partie couverts puisque nous observons une consommation de soins supérieure chez les femmes (hors USMi et en urgence). Les personnes seules qui sont majoritairement des hommes plutôt jeunes consomment moins de soins (hors USMi et en urgence) ce qui pourrait refléter des besoins moindres. Contrairement aux autres, ce dernier facteur paraît donc être un mauvais candidat pour identifier une vulnérabilité accrue.

Les personnes ayant acheté des médicaments traitant des problèmes de santé mentale sont généralement plus âgées que le reste de la population étudiée, et comptent des proportions plus élevées de femmes, de couples, et d’européennes. Ces MDA génèrent des coûts plus élevés pendant leur séjour EVAM, et sont suivis pendant plus longtemps et de manière plus intense par les équipes de l’USMi. Ces MDA ont également plus de contacts ambulatoires dans le système de santé ordinaire.

Une comparaison entre les coûts de la population de MDA à l’EVAM et les coûts de la population résidente permanente en Suisse s’est avérée difficile. Les données pour la population résidente permanente en Suisse ne permettent pas de connaître les franchises choisies et ne comprennent pas l’ensemble des coûts au-dessous des franchises. Pour répondre à la question des éventuelles économies réalisées grâce au RESAMI en comparaison avec une prise en charge «usual care» (où les MDA ne pourraient s’adresser qu’au système de santé ordinaire), seul un essai randomisé contrôlé serait à même de fournie des résultats valides.

Nous retenons un certain nombre d’enseignements concernant le monitorage futur des activités du RESAMI, à l’issue de cette étude. Parmi eux, apparait l’importance de s’assurer que le numéro EVAM apparaisse systématiquement dans les données des différents partenaires du RESAMI pour faciliter d’éventuelles analyses futures par liaison des données. Il serait aussi nécessaire d’introduire un indicateur marquant la fin de la phase de santé communautaire pour identifier de manière univoque les MDA qui continuent d’être suivi·e·s par l’USMi au-delà de cette phase. Un rendez-vous systématique auprès de l’USMi pour faire un bilan de la prise en charge après une année constituerait une opportunité intéressante pour clore la phase de santé communautaire et collecter des données utiles au monitorage. Ce rendez-vous à un an pourrait faire écho à un bilan initial davantage formalisé et documenté dans les données de monitorage lors du premier contact auprès de l’USMi. Concernant ce premier contact USMi, il serait utile de savoir si la personne qui consulte a été adressée par un autre prestataire du système de santé, notamment dans la situation fréquente ou d’autres contacts avec le système de santé surviennent le même jour que le premier contact avec l’USMi. Concernant la vaccination, il parait important de connaitre et de documenter le nombre de MDA éligibles pour compléter leurs vaccinations au sein de l’USMi afin de pouvoir calculer un taux de couverture fiable. Pour calculer de manière fiable les coûts totaux de prise en charge des MDA, il faudra que le RESAMI soit en mesure d’isoler dans son budget de fonctionnement les coûts qui sont ensuite refacturés à SRC, car à charge de l’AOS. Finalement, une étude qualitative auprès des MDA, et des partenaires du RESAMI, constituerait un complément très utile à nos analyses en renseignant sur les effets qualitatifs du dispositif.