Profils et trajectoires des bénéficiaires des hébergements d’urgence dans le canton de Vaud en 2021

Abstract

La mise à disposition d’hébergements d’urgence (HU) s’inscrit dans le cadre des actions du Département de la santé et de l’action sociale (DSAS) pour soutenir les personnes confrontées à des difficultés socio-économiques, d'intégration ou atteintes dans leur santé. La Direction générale de la cohésion sociale (DGCS), en collaboration avec la Direction générale de la santé publique (DGS), a confié au secteur CEESAN (Évaluation et expertise en santé publique) d’Unisanté le mandat d’adapter le questionnaire PAPU (Pointage annuel du profil des usagères et usagers) réalisé chaque année dans les centres d’accueil à bas-seuil du canton aux hébergements d’urgence. Cet outil permet de renseigner de manière quantitative les indicateurs concernant le profil des usagères et usagers de ces structures.

L’enquête renommée ici PAPU-HU est une enquête anonyme, transversale, descriptive et multi-centre, tout comme l’enquête PAPU. S’inspirant des enquêtes de type «un jour donné», elle a pour but de récolter les données sur le profil sociodémographique, les indicateurs de précarité, l’état de santé somatique et psychique des usagères et usagers.

Le questionnaire a été proposé aux bénéficiaires des sept HU du canton: l’Abri L’Etape, le Sleep In, la Marmotte, le Répit et Montolieu à Lausanne, Le Hublot à Vevey et la Lucarne à Yverdon durant la nuit du samedi 13 au dimanche 14 mars 2021. Au total, 149 questionnaires valides ont pu être utilisés pour effectuer les analyses. Le taux de participation est calculé à partir du nombre de bénéficiaires ayant dormi dans les HU du canton cette nuit-là et s’élève à 51%.

Un volet qualitatif complète le PAPU-HU. Cette analyse permet de documenter les trajectoires des bénéficiaires des HU du canton.

Caractéristiques sociodémographiques des répondantes et répondants

Les HU du canton sont principalement fréquentés par des hommes, d’une petite quarantaine d’année, d’origine étrangère. 12% des répondantes et répondants au PAPU-HU déclarent être suisses ou bi-nationaux suisses. Parmi les répondantes et répondants d’origine étrangère, 78% déclarent ne pas avoir de permis de séjour valable pour la Suisse.

La majorité des répondantes et répondants sans domicile fixe privé sont dans cette situation depuis moins de 6 mois (38%). Un cinquième indique vivre dans cette situation depuis 1 à 5 ans (21%) ou depuis plus de 5 ans (21%). Près de 15% des répondantes et répondants indiquent ne pas avoir de domicile fixe privé depuis moins d’un mois et 5% depuis 7 à 11 mois. Relevons encore que 8% des répondantes et répondants ne considèrent pas être sans domicile fixe privé.

Les problèmes financiers sont cités par le plus grand nombre de répondantes et répondants pour expliquer pourquoi ils et elles ont recours aux HU (61%). Un peu moins de la moitié des répondantes et répondants au PAPU-HU déclare avoir dormi au moins une fois dehors au cours des 30 derniers jours (41%). Enfin, l’accueil de jour constitue un défi majeur pour nombre de personnes rencontrées: 62% des répondantes et répondants au PAPU-HU passent leurs journées à l’extérieur. Sans surprise, les entretiens révèlent par ailleurs que les bénéficiaires des HU vivent un quotidien marqué par l’attente, l’errance, l’usure physique et mentale et qu’ils et elles redoutent particulièrement l’hiver et le froid.

Insertion socio-professionnelle

Presque la moitié des répondantes et répondants indiquent ne pas avoir de revenu mais vivre sur leurs économies (44%) et une forte proportion fait la manche pour subvenir à ses besoins (29 %). Le fait de passer toute une journée sans manger arrive rarement pour 8% des répondantes et répondants, parfois pour 37% et souvent pour 16%.

Indicateurs de santé

Une majorité des répondantes et répondants se considère en bonne santé. Au total, 14% déclarent être en mauvaise ou très mauvaise santé. Par ailleurs 6% des répondantes et répondants au PAPU-HU indiquent avoir déjà été diagnostiqués positifs à l’hépatite C (VHC).
Lorsqu’elles ou ils sont malades, 44% des répondantes et répondants indiquent aller chez un médecin (cabinet privé, hôpital, Point d’Eau, etc.). Ainsi, plus d’un quart ont eu un suivi médical au cours des 30 derniers jours (28%), 18% ont consulté aux urgences au cours des 30 derniers jours et 14% indiquent avoir été hospitalisé·es dans les 12 derniers mois.

Pour accéder aux soins, il est essentiel que les personnes bénéficient d’une couverture pour leurs frais de santé. Or, 66% des répondantes et répondants disent ne pas avoir souscrit une assurance en Suisse ou à l’étranger pour leurs frais de santé (30% l’ont fait, 4% ne savent pas).

Analyse des trajectoires

En complément à ces données, les trajectoires des usagères et usagers des HU ont été abordées au moyen d’entretiens semi-directifs (N=25), in situ, dans chacun des sept HU.

L’analyse de ce corpus s’appuie sur les méthodes d’analyse de contenu thématique et des récits de vie.
Les principales causes du sans-abrisme relevées dans les entretiens sont la perte de logement, l’absence de permis de séjour et une précarité durable. En termes de trajectoires, on peut distinguer les trajectoires migratoires (avec pour principales origines l’Afrique Subsaharienne et du nord, l’Europe, l’Europe de l’Est) et, de l’autre, les trajectoires autochtones.

Le motif de la quête d’une vie meilleure est récurrent dans les récits migratoires et passe avant tout par le travail, perçu comme véritable planche de salut pour changer son destin et celui de sa famille. Il s’agit principalement d’une migration économique. L’accès au marché du travail n’est pas le même selon l’origine de la personne et les lois d’asile qui s’appliquent ; ainsi, une distinction s’opère entre les migrantes et migrants européens, soumis au règlement sur la libre circulation des personnes, et les migrantes et migrants de pays tiers (hors UE, Afrique, Europe de l’est), soumis au règlement de Dublin. Ces bénéficiaires font face à une forme de cercle vicieux puisque sans permis de séjour, l’accès à un logement et à l’emploi leur est refusé. La plupart travaillent au noir et plusieurs sont sans emplois.

Les migrantes et migrants en provenance d’Europe ont un statut légitimé par un permis B ou G qui permet un meilleur accès à l’emploi et au logement, même si les conditions de vie restent souvent fragiles. À ces situations s’ajoute le cas particulier des travailleuses saisonnières et travailleurs saisonniers (souvent frontalières ou frontaliers, présents pour une durée courte, avec des contrats fixes à temps complet) qui bénéficient de conditions d’accès aux HU facilitées.

Pour les bénéficiaires autochtones, le recours aux HU intervient généralement suite à une perte de logement peu/pas anticipée ou dans une situation de précarité prolongée. La majorité des bénéficiaires suisses rencontrés sont sans emplois ou au bénéfice d’une rente AI. Leurs trajectoires sont marquées par des ruptures biographiques qui entrainent un déclassement social plus ou moins brutal d’un côté, et de l’autre, par des situations d’impasse en lien notamment avec des aspects administratifs ou juridiques qui empêchent d’avancer.

Le recours aux HU répond à des besoins différents selon le profil des personnes accueillies. D’une solution d’urgence pour des personnes ayant perdu leur logement récemment, il devient/représente une solution de refuge pour des SDF chronicisé·es, en passant par un point de chute pour des migrantes et migrants sans papiers ou une solution temporaire et à moindre coût pour les travailleuses saisonnières et travailleurs saisonniers.

Interrogé·es sur leur perception de la situation, les bénéficiaires mobilisent des ressources différentes. Ainsi, la majorité des migrantes et migrants africains et des personnes des communautés roms mettent en avant l’incertitude et le besoin d’adaptation auxquelles elles et ils sont confrontés. Cette situation se traduit par un sentiment de fatalisme et de fuite en avant, qui fait écho aux difficultés vécues par ces migrantes et migrants en termes d’absence de logement, d’emploi stable, etc. Dans cette situation la logique d’action consiste à s’adapter en permanence, à agir stratégiquement et à saisir les opportunités.

Les migrantes et migrants économiques originaires d’Europe et les suissesses et suisses du corpus rapportent une situation d’impasse et d’attente qui se traduit par un sentiment de blocage dans son parcours, un vécu dans l’attente que la situation s’améliore. Ces personnes sont ainsi amenées à vivre avec des ressources limitées, tant financières que sociales qui les empêchent de sortir de la précarité.

Enfin, les saisonnières frontalières et saisonniers frontaliers, qui ont généralement un logement ailleurs qu’en Suisse, sont dans une situation de compromis pragmatique, envisageant l’avenir de manière plutôt sereine et s’adaptant à ce mode de vie parce qu’ils et elles savent que leur situation est temporaire et intermittente.

À l’exception des situations de saisonnières et saisonniers, les trajectoires des bénéficiaires des HU analysées sont marquées à des degrés divers par un cumul des facteurs de vulnérabilité. Dans la plupart des situations, la précarité résidentielle s’ajoute à ou est causée par le manque de ressources financières, l’absence ou les difficultés d’emploi, l’isolement, l’irrégularité du statut légal, etc. Les bénéficiaires des HU sont confronté·es à un quotidien marqué par l’attente et l’errance, la vie dans la rue, etc.

Conclusion

Le PAPU-HU et l’étude sur les trajectoires des bénéficiaires des HU ont permis de mettre en lumière une série d’aspects de la situation et des besoins des personnes concernées par le sans-abrisme dans le canton de Vaud. L’enquête PAPU donne une photo de la situation et c’est par la répétition de cette étude qu’il est possible de suivre l’évolution dans le temps des caractéristiques sociodémographiques, des indicateurs de précarité et des comportements en matière de santé de cette population.
Cette étude présente quelques limites aussi bien linguistiques que méthodologiques. Le canevas d’entretien était disponible en français et en anglais ; lors des entretiens, des interprètes ont été sollicité·es sur le moment, notamment auprès des migrantes et migrants des communautés roms. Le moment de collecte des données constitue une limite méthodologique. En effet, tant le questionnaire que les entretiens ont été réalisés le soir, à l’ouverture des HU alors que les bénéficiaires souhaitent s’installer et se reposer plutôt que de répondre à une étude.