Contamination des sols aux dioxines/furanes en région lausannoise – Évaluation sanitaire

Abstract

Les dioxines (polychloro-dibenzo dioxines - PCDDs) et furanes (polychloro-dibenzo furanes - PCDFs), sont une famille de molécules organochlorées aromatiques de plus de 210 congénères. L’origine primaire de leur émission sont les processus industriels demandant un procédé de combustion, comme les incinérateurs de déchets d’anciennes générations. Ces composés étant très lipophiles, stables et peu biodégradables, vont s’accumuler dans les tissus graisseux. Pour cette raison, l’alimentation est la principale source d’exposition aux PCDD/Fs de notre environnement quotidien.

Une contamination aux PCDD/Fs sur une large étendue de la région lausannoise a été constatée suite à des sondages effectués en vue d’un réaménagement d’une parcelle agricole sise à l’avenue Victor-Ruffy à Lausanne. Les concentrations mesurées dépassent le seuil d’investigation et par endroit le seuil d’assainissement de l’Ordonnance sur les atteintes portées aux sols (OSol), respectivement de 20 et 100 ng i-TEQ/kg. La contamination observée est d’origine historique, la source d’émission la plus probable (l’ancienne usine d’incinération) ayant disparu et aucune autre source de dioxines actuellement en exploitation n’ayant été identifiée. Les concentrations élevées mesurées ont suscité plusieurs questions d’ordre sanitaire nécessitant un travail d’expertise. Une démarche d’analyse de risque environnemental pour la santé des populations exposées a alors été entreprise par Unisanté sous le mandat de la Direction générale de la santé (DGS) du Canton de Vaud et en collaboration avec la Direction générale de l’environnement (DGE) du Canton de Vaud et la Ville de Lausanne.

Les objectifs du mandat étaient d’identifier les scénarios d’exposition, d’évaluer les risques associés à ces scénarios, de formuler des recommandations à l’attention des autorités d’exécution, et d’accompagner la DGS et la DGE dans la communication des risques sanitaires. Selon les modalités d’usage des sols, trois scenarios ou conditions d’exposition ont été identifiés, à savoir les jeunes enfants ingérant accidentellement de la terre, les jeunes enfants et les adultes ingérant des légumes cultivés dans des potagers lausannois, les jeunes enfants et les adultes ingérant des denrées alimentaires issues d’animaux élevés sur les terrains lausannois (porc, moutons, poules).

Parmi les effets sur la santé reconnus chez l’humain, l’effet le plus sensible identifié est la reprotoxicité. Deux congénères de la famille des PCDD/Fs étant classés cancérigènes, le risque de cancer a aussi été considéré dans ce rapport. C’est sur la base de l’association entre la diminution des concentrations de spermatozoïdes et l'augmentation des niveaux sériques de TCDD ainsi que d’un modèle toxicocinétique de distribution des dioxines dans l’organisme humain (CADM, ou concentration- and age-dependant model) que l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA, ou European Food Safety Authority en anglais) a défini une dose journalière tolérable (DJT) de 0.3 pg TEQWHO-05/kg pc/jour. Bien que cette DJT fournisse un élément d’appréciation important, son interprétation est rendue difficile par le fait que la dose attendue via l’alimentation «normale» dépasse déjà ce seuil. Le modèle toxicocinétique (CADM) a donc été utilisé pour estimer les concentrations sanguines en PCDD/Fs selon les différentes situations d’exposition et pour déterminer l’importance de l’augmentation relative de la charge corporelle en PCDD/Fs. Trois seuils ont étés retenus pour l’élaboration des recommandations. Ces seuils tiennent compte de la variabilité de concentration attendue dans la population générale et sont définis comme une augmentation «faible» (<20%), «notable» (entre 20 et 100%) ou «importante» (>100%).

Les scénarios conduisant potentiellement à une augmentation importante (>100%) de la charge corporelle sont la consommation régulière d’oeufs de poules élevées sur des sols avec des concentrations de PCDD/Fs > 20 ng TEQWHO-05/kg et la consommation régulière de cucurbitacées cultivées sur des sols à des concentrations de PCDD/Fs >100 ng TEQWHO-05/kg. Les scénarios conduisant potentiellement à une augmentation notable (20-100%) de la charge corporelle ont été identifiés comme étant la consommation régulière de cucurbitacées cultivées sur des sols avec des concentrations de PCDD/Fs entre 20-100 ng TEQWHO-05/kg, la consommation régulière de légumes racines non-pelés cultivés sur des sols avec des concentrations de PCDD/F >50 ng TEQ/kg, et la fréquentation régulière (pour les enfants) de parcs et de jardins sur des sols avec des concentrations de PCDD/F >200 ng TEQWHO-05/kg.

Il est plausible que les situations d’exposition actuelles conduisant à une augmentation notable ou importante de la charge corporelle puissent contribuer aux effets reprotoxiques, par ailleurs déjà observés dans la population suisse. Il est cependant peu probable que les situations d’exposition actuelles puissent contribuer de façon significative à des effets cancérigènes. Au-delà de l’évaluation des niveaux d’exposition attendus, l’analyse de la situation lausannoise met en exergue: la forte influence des conditions d’usage des terrains (type d’exposition, fréquence d’usage/consommation et teneur en PCDD/Fs du sol) dans les niveaux de charge corporelle attendus, un manque de données de référence sur les niveaux de charge corporelle en PCDD/Fs dans la population générale en Suisse et un déséquilibre entre les expositions attendues pour les différents scénarios d’usage des terrains et les niveaux de protection visés par les dispositifs légaux de protection des sols et des denrées alimentaires.